Virginie. Les Ombelles.

Août 2025

 

Je nourris depuis toujours un amour sincère pour les fleurs. En découvrant l’univers de Virginie, si proche de moi, au coeur du Chablais, j’ai été touchée par sa sensibilité et son profond respect de la nature.

À Brenthonne, sur les pentes du Chablais, Virginie cultive des fleurs de saison, locales, parfois sauvages et toujours respectueuses du vivant. Ici, rien de calibré ni de standardisé. Dans sa ferme Les Ombelles, chaque bouquet raconte une histoire : celle de la nature, des souvenirs qu’elle éveille, et du courage de se lancer dans un métier exigeant mais profondément gratifiant.

Découvrez notre conversation dans l’intimité de son atelier ainsi que notre série photo.

 

Peux-tu nous raconter ton chemin jusqu’à la fleur? Qu’est-ce qui t’a menée à ce métier si engagé ?

Depuis toujours, j’ai un lien très fort avec la nature. Petite, je passais mon temps à me balader, à observer les oiseaux, à reconnaître les plantes. Ce goût ne m’a jamais quittée. J’ai suivi un Bachelor en gestion de la nature à Genève, avec l’envie d’agir pour la biodiversité locale. J’ai travaillé sur les espèces protégées, les milieux rares, la botanique appliquée. J’adorais observer toutes les spécificités des espèces et familles botaniques. Mais au fond, il me manquait le concret : cultiver, faire pousser.

J’ai d’abord exploré les plantes sauvages pour des usages simples, puis l’envie de maîtriser tout le cycle — de la graine au bouquet — s’est imposée. En France, je trouvais surtout de l’horticulture sous serre et je cherchais une floriculture écologique, de plein champ, à taille humaine. Les fermes florales nord-américaines m’ont ouverte à ce modèle. Elles prouvaient qu’on pouvait être viable sur de petites surfaces, de manière écologique. Ça a été un déclic.

Dès 2019, j’ai alors suivi une formation d’horticulture classique, des modules en ligne et lu tout ce que je pouvais sur le sujet. En 2021, j’ai quitté mon travail pour me consacrer pleinement à ce projet. J’ai beaucoup tâtonné, souvent appris seule, parfois à mes dépens. Ce choix n’était pas évident : il fallait oser, sacrifier une sécurité, assumer mes erreurs. Mais je me suis dit que j’irai à fond, sinon rien. Les premières années ont été jalonnées de tâtonnements, la Haute-Savoie n’étant pas une région horticole, mais aussi de belles surprises.  Mes fleurs se sont vite vendues, grâce aux réseaux sociaux et à quelques fleuristes du coin. C’est comme ça que Les Ombelles est née.

 

Que souhaites-tu transmettre à travers tes fleurs et ta manière de les cultiver ?

J’ai envie de transmettre ce que la nature nous offre : des fleurs simples, vivantes, qui réveillent souvent des souvenirs. Beaucoup de gens me disent : “Ça me rappelle le jardin de ma grand-mère”. C’est pour ça que je cultive surtout des fleurs de champs, des fleurs de jardin d’ici, des espèces rustiques.

Je tiens également compte de l’aspect écologique. En France, la plupart des fleurs coupées viennent de l’étranger, avec un impact environnemental désastreux. Pour moi, c’était impensable. Ici, je cultive sans pesticides ni engrais chimiques, et la moitié de mes cultures ne sont même pas irriguées. Les plantes s’adaptent, développent leurs racines et deviennent plus résistantes.

Tout est lié : si on détruit une partie de la chaîne alimentaire, tout s’écroule. Ici, je vois revenir les papillons, les abeilles, les hirondelles qui trouvent de quoi se nourrir, même des hermines, des araignées ou des serpents. Ces présences sont des signes d’équilibre. Pour moi, chaque petit retour du vivant est une victoire.

J’ai envie de montrer qu’on peut produire autrement, sans abîmer la nature.

“J’ai envie de transmettre ce que la nature nous offre : des fleurs simples, vivantes, qui réveillent souvent des souvenirs”

 

Vivre avec la terre… qu’est-ce que ce rapport quotidien au sol et au climat t’enseigne sur ton métier… et peut-être sur toi-même ?

Je crois que ce lien est assez intuitif. Pendant mes études, j’ai suivi des cours sur les sols, et même si je pensais ne rien retenir, finalement il reste beaucoup. Depuis toujours, j’observe, et ça me marque profondément : dès que quelque chose va contre la nature, ça m’affecte.

La terre m’apprend surtout l’humilité. Je fais du mieux que je peux avec ce qu’elle me donne. Le climat, lui, ne se contrôle pas : la pluie, la chaleur, la sécheresse… il faut accepter, s’adapter, et avancer. Même avec les grosses chaleurs, j’arrive à sortir des fleurs, et je me dis que ça va.

La nature est au centre de tout. Je me laisse guider par elle. On n’a pas de pouvoir dessus, mais si on la respecte, elle nous donne toujours quelque chose.

“La terre m’apprend surtout l’humilité.

Je fais du mieux que je peux avec ce qu’elle me donne”

 

Peux-tu me parler de la façon dont tu prépares tes cultures et de ce que chaque saison t’apporte ?

Chaque saison prépare déjà la suivante. Quand je suis dans l’une, je pense toujours à deux ou trois saisons d’avance. C’est un métier très rythmé, jamais monotone : chaque période a ses spécificités.

L’hiver, c’est le temps du sol, du matériel et des semis sous abri dès février. Au printemps, arrivent les bulbes plantés à l’automne — tulipes, renoncules — mais il faut aussi anticiper et semer les fleurs d’été. L’été, c’est la période la plus intense : cueillettes quotidiennes, mariages, livraisons, messages en continu. Je suis en pilote automatique, je n’arrête pas. L’automne, au contraire, est plus doux : les dernières récoltes, les plantations pour le printemps suivant, et un temps de bilan. J’aime cette transition, elle me permet aussi de prendre mes vacances et de souffler.

Je réutilise de plus en plus mes propres graines, même si certaines espèces se croisent et réservent des surprises de couleurs. Les dahlias, eux, je les multiplie d’une année sur l’autre. Mais chaque espèce a son cycle : je suis heureuse de voir les premières tulipes, et soulagée aussi quand elles se terminent.

Heureusement que ce métier est cyclique. Sinon, je ne tiendrais pas. Chaque tâche est à la fois belle et exigeante, mais elle ne dure jamais trop longtemps. C’est cette alternance qui me nourrit.

Comment choisis-tu tes variétés ? Où puises-tu ton inspiration ?

Je choisis un mélange de sauvage et d’horticole. Je m’appuie beaucoup sur les espèces locales. J’ai même ressemé une prairie avec un mélange de graines récoltées sur le plateau suisse, adapté à notre climat. C’est important pour moi de garder un lien avec les fleurs qu’on trouve dans nos prairies naturelles, même si je sélectionne celles qui s’intègrent bien dans mes bouquets.

En parallèle, je choisis des fleurs horticoles, mais toujours en veillant à étaler les floraisons du printemps à l’automne : bulbes, vivaces, annuelles, bisannuelles. Je ne cultive que ce que j’aime. Si une fleur ne me plaît pas, je préfère m’en passer, même si elle est demandée.

Mes préférées : les dahlias, les renoncules au printemps, la carotte sauvage, toute la famille des ombellifères, l’origan… Des espèces robustes, bonnes pour les pollinisateurs, et magnifiques dans un bouquet. J’aime aussi utiliser des feuillages locaux ou des aromatiques comme le basilic.

Chaque année, je retombe dans l’addiction des graines : je commande, je teste, je veux essayer de nouvelles variétés. C’est à la fois une obsession et un vrai plaisir.

 

Quels sont les défis de ton métier et quels sont les moments de grâce ou de satisfaction qui te portent ?

Les défis sont nombreux, techniques : chaque espèce a ses exigences et il faut sans cesse apprendre et l’organisation, qui n’était pas mon point fort. Ce métier m’a appris à mieux structurer mon temps.

Mon plus gros défi reste la commercialisation. Au début, j’ai voulu tout faire : particuliers, fleuristes, mariages… mais je me suis éparpillée. Aujourd’hui, j’essaie de cibler, d’instaurer des règles. Les mariages par exemple : je n’accepte que si les mariés sont prêts à faire confiance au bouquet du moment. Je ne peux pas promettre une couleur ou une variété précise un an à l’avance. Ceux qui acceptent cette part d’inconnu sont toujours ravis, souvent étonnés en bien. Mais pour moi, c’est une vraie source d’angoisse quand on veut du “garanti”.

Ce que je tiens aussi à défendre, c’est l’accessibilité. J’accepte tous les budgets, même les plus petits. Pour moi, les fleurs ne doivent pas être un luxe. Le bouquet du moment, avec ce que la nature m’offre, c’est ma manière de rendre ça possible.

Et les moments de grâce ? Ils sont là, chaque semaine. Une parcelle en fleurs après un orage, un bouquet improvisé qui touche quelqu’un, la fierté de sortir une belle récolte malgré une saison difficile. Ce sont ces moments-là qui me portent.

 

Quelle place occupe le lien humain dans ton activité ?

Avec les fleuristes, c’est une relation de confiance. Certaines aiment mes fleurs un peu libres, d’autres préfèrent du calibré. Au début, c’était difficile d’expliquer mon fonctionnement — que je ne pouvais pas fournir toute l’année ni garantir des couleurs précises — mais aujourd’hui, celles qui adhèrent apprécient la fraîcheur, la qualité et la spécificité de mes variétés.

Les particuliers aussi découvrent qu’une fleur est un produit vivant, saisonnier. Certains avaient arrêté d’acheter des fleurs pour des raisons écologiques et sont heureux de trouver une alternative locale. D’autres apprécient simplement la proximité.

Et puis je découvre aussi une dimension sociale : le libre-service devant la ferme, les gens qui viennent chercher leur bouquet et laissent l’argent dans une boîte, la confiance réciproque… ou l’idée d’ateliers, d’apéros-bouquets, de moments partagés. J’aimerais développer cela davantage, parce que je sens qu’il y a un vrai besoin de lien.

Si tu devais transmettre une chose essentielle sur ton métier, laquelle serait-ce ?

C’est un métier exigeant, parfois rude, mais qui donne beaucoup de joie. Dans un bouquet, on ne voit que la beauté finale ; moi, j’assume le chemin pour qu’il arrive jusque-là. Les gens viennent toujours chercher des fleurs pour une raison positive : un cadeau, un plaisir personnel, même parfois pour un deuil, mais toujours avec l’idée d’apporter un peu de lumière. Voir qu’une simple graine semée peut générer tant d’émotions chez les autres, c’est incroyable.

Et surtout, je crois que se reconnecter à la nature est essentiel. Observer une fleur, un oiseau, un papillon… ça change la manière dont on voit le monde. C’est, je crois, une petite révolution intérieure.

 

Quelles envies ou nouvelles variétés aimerais-tu explorer dans les saisons à venir ?

Je voudrais redonner plus de place aux fleurs sauvages, qui sont au cœur de mon projet initial. En parallèle, j’ai envie de structurer davantage les ventes et de développer la dimension transmission. Les ateliers, les rencontres, le partage d’expérience avec d’autres… ça me paraît être la suite logique.

C’est une évidence qui viendra avec le temps. Aujourd’hui déjà, je sens que ce métier m’a reconnectée à mon territoire, aux habitants, aux agriculteurs du coin. Ça m’apporte une reconnaissance et un sentiment de fierté.

Je ne gagne pas autant qu’avant, mais j’ai une liberté immense. Je fais les choses à ma manière, je décide de mon rythme, et ça n’a pas de prix.

 
 

3 adresses que tu aimes partager dans le Chablais :

  • La céramique sensible et charnelle de mon amie Céline, La Plume du Cerf, en dialogue naturel avec mes bouquets

  • Le talentueux pâtissier-chocolatier Clément Querel à Brenthonne, qui travaille ses créations comme je travaille mes fleurs, au rythme des saisons

  • Les sentiers forestiers de Brenthonne et des Voirons : mon lieu de ressourcement, simple et vital

 

Virginie a été photographiée par Marie-Hélène Deméautis dans son atelier et sa ferme florale de Brenthonne.

Retrouvez Virginie sur Instagram @les.ombelles et son site web www.les-ombelles.com

 
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Galerie RART.